Nous allons faire de Style.com une destination e-commerce majeure”

Condé Nast va lancer une grande plateforme e-commerce mondiale, dont l’audience sera notamment alimentée par les sites de ses magazines. Explications du président de sa division e-commerce.

JDN. Condé Nast annonce le lancement cet automne d’une plateforme d’e-commerce, qui reprendra le nom et l’url de son site de défilés de mode Style.com. En quoi consistera-t-elle ?

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Franck Zayan, président de la division Global E-Commerce de Condé Nast © S. de P. Condé Nast

Franck Zayan. Cela fait 4 ou 5 ans que les éditeurs de magazines font pas mal de tentatives pour connecter l’éditorial et le commerce. Ils ont d’abord testé le marketing d’affiliation, mais l’expérience client est exécrable car le lecteur est expulsé vers l’extérieur. Et ce modèle ne remplit pas non plus les attentes des éditeurs car ce n’est pas un business à part entière : il ne peut pas générer une vraie croissance. Tous les éditeurs s’en sont rendu compte et ont testé d’autres solutions.

Les magazines de Condé Nast parlent beaucoup des produits et des marques. Le lien est avec le produit au sens commercial est donc presque naturel. Le magazine apporte l’inspiration, provoque le désir. Reste à répondre aux attentes du lecteur. Pour cela, l’expérience doit être parfaite. La transition avec la partie marchande doit être complètement fluide et le lecteur doit retrouver le contenu éditorial immédiatement après. Pour cela, nous avons construit une plateforme e-commerce haut de gamme, Style.com, à laquelle mèneront deux portes d’entrée. D’une part, elle permettra aux lecteurs des sites des magazines d’acheter sans quitter l’environnement éditorial. D’autre part, iI s’agira d’une destination à part entière, stand alone.

Comment se fera cette transition sans couture entre édito et partie marchande ?

Les pages édito permettront d’afficher en surimpression une grande zone donnant accès à tous les produits de la page ainsi qu’à d’autres articles associés. On pourra y remplir sa wishlist, son panier et y suivre tout le tunnel de conversion. Lorsqu’on fermera cette zone, on retrouvera la page édito au-dessous, sans perdre pour autant son panier ou sa wishlist. Cette zone sera une zone Style.com, mise aux couleurs du site du magazine.

Nous avons aussi prévu des fonctionnalités pour les applications mobiles des magazines, qui permettront de faire apparaître les fiches des produits flashés ainsi que les articles suggérés par un moteur de recommandation.

“Nous ajouterons ultérieurement à la marketplace un modèle sur inventaire”

Quelle est l’ampleur du projet Style.com ?

Le lancement est prévu pour la fin de l’automne au Royaume-Uni, au moins avec les sites britanniques de Vogue et de GQ. Les Etats-Unis suivront au premier trimestre 2016, puis l’Asie et le reste de nos marchés. L’objectif est de couvrir la totalité de nos magazines et des pays où Condé Nast est présent. Ce qui nécessite aussi de couvrir l’ensemble des catégories de produits qu’abordent nos titres : mode bien sûr mais aussi beauté, décoration, high-tech et voyage. Bref, tout l’univers lifestyle.

Pourquoi avez-vous opté pour un modèle de marketplace et ce choix est-il définitif ?

D’abord, nous avons l’ambition de travailler directement avec les marques, sans passer par les revendeurs, et de proposer un assortiment aussi large que possible chez nos marques partenaires. Le modèle de la marketplace s’est donc vite imposé. Mais dans une phase ultérieure, dans les deux années qui suivront le lancement, nous mettrons également en place un modèle d’inventaire.

Pourquoi cela ?

Pour des raisons financières, il est plus rentable d’avoir les deux modèles. La marketplace est parfaitement adaptée pour limiter le risque au début. Mais nous engrangerons des marges bien meilleures en vendant en propre, en particulier sur le segment de la mode.

Condé Nast est un groupe familial, nous ne sommes pas cotés. Nous expérimentons, nous pesons le pour et le contre, mais lorsque nous prenons une décision, notre engagement est total. En l’occurrence, après avoir testé des mécaniques d’affiliation, noué des partenariats et réalisé divers petits déploiements, nous en avons conclu que construire une destination e-commerce avait du sens pour Condé Nast. Et maintenant, la division e-commerce doit constituer une vraie source de revenus supplémentaires pour le groupe. D’ailleurs, depuis mon arrivée en janvier 2014, la division est passée à 90 personnes et nous serons autour de 150 à la fin de l’année.

“Nous envisageons de proposer du click&collect”

Pourquoi voulez-vous contourner les distributeurs ? Est-ce pour récupérer leur marge à eux aussi ?

Nous avons une relation de grande proximité avec les marques, il était donc naturel de les solliciter directement. D’autant que ces relations rendent le déploiement beaucoup plus facile que si nous n’étions pas Condé Nast.

A condition tout de même que les marques soient elles-mêmes e-commerçantes…

En effet, puisque c’est pour l’instant à elles de s’occuper du fulfillment. Mais nous discutons aussi avec des marques de la possibilité, si elles savent nous fournir les bons flux, de proposer du click&collect et d’envoyer les acheteurs dans leurs points de vente.

En quelque sorte, nous étendrons donc l’omnicanal un cran plus loin, en partant plus en amont encore, du point d’inspiration et de désir du consommateur pour l’accompagner jusqu’à la transaction, en ligne ou en magasin.

Quelles sont vos ambitions pour Style.com en termes d’audience et de volume d’affaires ?

Je ne peux pas vous les communiquer. Néanmoins, je vous rappelle qu’en cumulant nos 30 pays, dont de très gros marchés comme les Etats-Unis et la Chine, nous attirons 300 millions de visiteurs uniques par mois, donc une audience assez astronomique ! Ce sera pour Style.com un bassin d’audience énorme. On peut raisonnablement estimer que 20% environ du trafic de Style proviendra des magazines.

Les magazines ne feront donc qu’une partie du travail. Style va surtout se retrouver face à Yoox, Net-a-Porter, Matches Fashion… Des sites marchands déjà très établis !

C’est vrai. Nous allons devoir faire de Style.com une destination de commerce et pour cela investir considérablement. Mais Style va pouvoir s’appuyer sur l’actif principal de Condé Nast : sa connaissance des marques, la capacité d’influence qu’elles tirent de leur forte légitimité sur leur segment, la cohérence et la pertinence de nos magazines vis-à-vis des produits que nous voulons vendre… Cela va nous permettre de nous établir beaucoup plus rapidement comme un acteur de référence. Car il n’est jamais trop tard pour voir émerger un nouvel acteur. Prenez Facebook, arrivé quand le concept de réseau social était défini par MySpace ! Sur notre secteur, je suis convaincu que les succès se joueront beaucoup sur la recommandation et la personnalisation.

“Nous misons beaucoup sur la recommandation et la personnalisation”

Actuellement, nous travaillons donc beaucoup sur notre moteur de recommandation. Car la brique purement technologique ne suffit pas. Comme dans le modèle de Pandora, où cette brique est complétée par des éléments que déterminent des experts en musique, la recommandation de produits nécessite également une expertise humaine, en particulier parce que qualifier et classer des articles de mode est particulièrement compliqué.

Vous comptez lancer Style.com avec 100 à 200 marques. Est-ce suffisant ?

Matches Fashion commercialise 400 à 500 marques, Net-a-Porter environ 800, d’ailleurs l’une comme l’autre en inventaire pur et non en marketplace. Style en comptera 100 à 200 au lancement mais nous serons sans doute déjà autour de 350 à la fin de l’année et 600 à 700 un an plus tard. Depuis quelques mois, nous avons rencontré environ 500 marques. C’est tout un processus d’explication, de conviction, d’intégration…

En outre, la grande majorité des marques signées pour le Royaume-Uni sont capables de livrer aussi les Etats-Unis, voire disposent de centres de distribution sur place. Mais quand nous nous lancerons sur le marché américain, nous devrons également élargir notre assortiment à des marques locales. Et nous procéderons ainsi sur toutes les zones du monde.

Condé Nast a investi dans Vestiaire Collective, Farfetch et Moda Operandi. On voit d’ailleurs des recommandations de Vogue sur Vestiaire Collective. Allez-vous établir des liens entre ces sociétés et Style.com ?

Non. Ces investissements sont avant tout financiers. Ils sont d’ailleurs très positifs, puisque les valorisations de ces sociétés ont bien augmenté, en particulier celle de Farfetch. Certes ces sites peuvent avoir des relations en peu plus poussées avec Condé Nast France, mais elles ne témoignent que de l’engagement sérieux du groupe en tant qu’investisseur.

 

Franck Zayan est le président de la division Global E-Commerce de Condé Nast. Diplômé en informatique du New York City College et titulaire d’une maîtrise d’informatique de l’Université Paris Sud, il débute sa carrière dans les réseaux et pilote le système d’information de Cabletron de 1993 à 1995. Il rejoint ensuite AOL au poste de vice-président contenus et production, puis dirige de 2000 à 2003 le développement d’iPIN, plateforme de paiement électronique spécialisée dans les biens virtuels. Après avoir passé un an et demi chez Glowria en tant que directeur exécutif, il cofonde Sarenza en 2004, qu’il préside jusqu’en 2007. Il fonde alors Traffic Garden, avant d’intégrer le groupe Galeries Lafayette mi-2011 au poste de directeur Internet et e-commerce de la branche Grands Magasins, qui regroupe les magasins Galeries Lafayette et BHV. En janvier 2014 il rejoint Condé Nast International en tant que président de la division E-commerce.